Comment attraper les tricheurs qui passent leurs examens depuis leur domicile ? Doit-on s’appuyer sur des mouvements « anormaux » d’yeux ou de têtes capturés par une caméra de PC et évalués par une intelligence artificielle ? Quelle serait la meilleure approche ? Ce sont des questions qui rentrent dans la controverse autour des logiciels de contrôle à distance des examens très en vogue par ces temps de pandémie de coronavirus. Les développements prennent un coup de neuf avec une plainte de l’Electronic Frontier Foundation contre l’éditeur Proctorio de la part d’un apprenant en sécurité informatique.
La nécessité du contrôle à distance du déroulement des sessions d’examen a conduit à la naissance d’un grand nombre d’acteurs dans la filière, ce, bien avant le début de la pandémie de coronavirus. Proctorio offre ses services depuis 2013. Certaines plateformes concurrentes comme ExamSoft existaient déjà en 1998. C’est avec la survenue de la pandémie de coronavirus et la ruée vers les environnements d’apprentissage à distance que leurs outils ont gagné en popularité.
La controverse autour de ces dernières gagne tout autant en visibilité. De plus en plus d’observateurs pointent du doigt un certain nombre d’éléments : l'enregistrement des frappes au clavier et la reconnaissance faciale sont censés confirmer que l'étudiant qui s'inscrit à un test est bien celui qui le passe ; la surveillance du regard ou eye-tracking est censée garantir que les étudiants ne regardent pas trop longtemps hors de l'écran où ils pourraient avoir des réponses écrites ; des microphones et des caméras enregistrent l'environnement des étudiants et le transmettent à un surveillant qui s’assure par ce biais que personne d'autre ne se trouve dans la salle. Le tableau s’apparente à celui de patrons en panique qui achètent des logiciels espions pour garder un œil sur la productivité de leurs employés.
C’est ce qu’a mis en avant Erik Johnson – étudiant en sécurité informatique. Via une série de tweets au cours de l’année précédente, il a étalé l’étendue du suivi et de l’accès du logiciel aux ordinateurs des utilisateurs. Ses publications incluaient même une vidéo illustrant la façon dont la solution Proctorio est capable de créer une image à 360 degrés de l’espace de vie des apprenants et la rendre accessible aux enseignants et agents de Proctorio.
Ian Linkletter, spécialiste de l'apprentissage à distance à l'université de la Colombie-Britannique, fait partie du chœur des critiques contre les solutions proposées par les éditeurs qui opèrent dans cette filière. Afin de clarifier son point de vue, Linkletter a publié certaines de ses critiques sur Twitter. Il y a établi un lien avec les vidéos YouTube publiées par Proctorio qui décrivent le fonctionnement de leur logiciel. Les mêmes métriques mises en avant par Erik Johnson reviennent. « Je peux énumérer une demi-douzaine de conditions qui font que vos yeux bougent différemment des autres personnes », commente-t-il pour souligner une tare de la solution Proctorio.
Proctorio a poursuivi Linkletter en justice en guise de réponse à sa critique. Même si Linkletter n'a copié aucun contenu de l’éditeur, l'entreprise affirme que ce dernier a violé la loi canadienne sur le droit d'auteur simplement en créant un lien vers ses vidéos. Proctorio a également déclaré que ces documents étaient confidentiels et a allégué que les tweets de Linkletter violaient l'accord de confidentialité le liant à l’université de Colombie-Britannique puisque Linkletter y est employé.
L’éditeur s’est appuyé sur des dispositions du Digital Millenium Copyright Act pour obtenir la suppression par Twitter de posts d’Erik Johnson qui intégraient des liens vers des bouts de code qui illustrent le caractère intrusif de la solution Proctorio. L’éditeur a par la suite porté plainte à l’étudiant pour violation de copyright. Dans une plainte déposée devant le tribunal de district de l'Arizona, l’EFF a déclaré que Johnson a fait un usage équitable d'extraits du code du logiciel de Proctorio et que les fausses déclarations de violation de la société ont interféré avec le droit du premier amendement de Johnson de critiquer la société.
« Les entreprises de la filière du logiciel n'ont pas le droit d'abuser de la loi sur le droit d'auteur pour saper leurs critiques. Utiliser des extraits de code pour appuyer un commentaire critique n'est pas différent de citer un livre dans une critique de livre », déclare l’Electronic Frontier Foundation.
Sources : EFF, Twitter
Et vous ?
Quelle approche préconisez-vous pour le suivi à distance du déroulement des examens d’étudiants de la filière informatique ?
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Contre l'éditeur Proctorio
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Le , par Patrick Ruiz
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