Parcoursup, c'est d'abord un algorithme central qui transforme les listes ordonnées de candidats transmises par les formations en réponses auxdits candidats et qui ensuite les réponses des candidats. Le code source et le cahier des charges de cet algorithme ont bien été publiés, conformément à l'objet d'un amendement de Cédric Villani, adopté lors de l'examen de la loi ORE (loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants).
Cependant, contrairement à admission post-bac (APB), son prédécesseur, ce n'est pas au niveau central que tout se joue dans Parcoursup. C'est le rang du candidat sur la liste établie par la commission d'examen des voeux de la formation concernée qui va déterminer ses chances d'inscription.
Les dossiers sont regardés un à un et classés manuellement dans les formations ne comportant qu'un petit nombre de candidats, conformément aux engagements de la ministre d'assurer un traitement humain des dossiers.
Toutefois, dans la plupart des formations, chaque candidat pouvant faire jusqu'à dix voeux et vingt sous-voeux non hiérarchisés, les équipes pédagogiques ont eu recours soit à des tableurs Excel de leur facture, soit à l'outil d'aide à la décision du ministère. En 2018, un petit quart des 14 500 formations avait eu recours à cet outil, dont 56 % des licences et 47 % des instituts universitaires de technologie (IUT).
À partir de tels tableurs, les commissions d'examen des voeux ont pu sélectionner les notes des matières et les éléments de la fiche Avenir qu'elles souhaitaient retenir, ainsi que les pondérations souhaitées. Le tableur leur a ainsi permis d'établir une liste classée de candidats, au sein de laquelle les commissions n'avaient plus qu'à départager les éventuels ex aequo et à réintégrer les dossiers atypiques.
Des élus réagissent
Face à cette opacité, le sénateur Jacques Grosperrin a annoncé la semaine dernière le dépôt d’une proposition de loi visant à assurer la transparence sur les fameux « algorithmes locaux » utilisés par certaines universités.
Comme pour la souligner davantage, il a rappelé à ses collègues le fonctionnement de Parcoursup :
« M. Frédéric Dardel, président de l'Université Paris-Descartes, a publié sur son fil Twitter un exemple de prétraitement des dossiers. Il s'agit de l'une des rares expériences de transparence totale menée par une université car si la publication en ligne des critères n'est pas obligatoire, elle n'est pas non plus interdite. Pour départager les 3 212 candidatures en licence de sciences de l'éducation, laquelle ne comptait que 80 places, la commission d'examen des voeux a déterminé cinq matières - français, histoire-géographie, philosophie, langue vivante I et mathématiques - auxquelles elle a appliqué des coefficients relativement simples : 1 pour chaque matière, sauf pour le philosophie, 0,5 afin de ne pas créer de disproportion entre matières littéraires et scientifiques et parce que la philosophie est plus aléatoire. Ont également été rentrés deux éléments de la fiche Avenir : les avis du conseil de classe sur la cohérence du projet et sur la capacité à réussir du candidat. L'outil d'aide à la décision a alors calculé de manière automatisée, à l'aide d'algorithmes très simples, une note de dossier sur 120 points.
« Une fois ce pré-classement opéré, les opérations humaines ont débuté : la commission a regardé tous les dossiers des candidats du secteur - environ 600 dossiers - et les 100 premiers hors secteur - en raison du quota, seules 4 places sur les 80 disponibles étaient destinées à des candidats hors secteur.
« Chaque dossier a reçu une note au regard de la lettre de motivation, du CV et de la fiche Avenir. Cette nouvelle note, entre 0 et 5, a été ajoutée au score initial. Tous les dossiers atypiques ou incomplets ont fait l'objet d'une notation globale. La liste définitive a ensuite été établie et transmise au recteur ».
Un régime spécial, dérogatoire du droit commun
Le régime de publication et de communication de ces algorithmes locaux est un régime spécial, dérogatoire du droit commun. Pour mémoire, le droit commun prévoit une publication en ligne obligatoire de toutes les règles définissant les traitements algorithmiques utilisés en vertu de l'article L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration. Le droit commun prévoit également la communication par l'administration, à la demande de l'intéressé, des principales règles définissant le traitement algorithmique, ainsi que des principales caractéristiques de sa mise en oeuvre, en vertu de l'article L. 312-3-1 du même code.
Le régime spécial instauré par la loi ORE pour Parcoursup déroge expressément à ces deux articles. Il prévoit que seules des informations relatives aux critères et modalités d'examen des candidatures seront communiquées, a posteriori, au candidat qui en fait la demande. Les candidats et le public ne sont pas sans information : on trouve sur Parcoursup les attendus de chaque formation et, à partir de la prochaine campagne, les critères généraux d'examen des candidatures. L'attendu d'une licence de droit, par exemple, consiste à « savoir mobiliser les compétences en matière d'expression écrite afin de pouvoir argumenter un raisonnement ». Les critères généraux demandés par la formation seront « les notes de première et de terminale en français, philosophie, histoire-géographique et SES ».
Lors de l'examen de la loi ORE, il n'était pas envisageable de demander aux établissements, lesquels disposaient de très peu de temps pour monter leurs commissions d'examen des voeux, de publier en ligne les critères d'examen des candidatures. Il fallait aussi leur laisser le temps nécessaire pour roder ces critères et les éprouver face à la réalité des dossiers reçus.
L’heure des décisions éclairées ?
Pour Grosperrin, « le temps est venu de reposer la question de la publication de tous les critères utilisés dans l'outil d'aide à la décision. Et cela pour plusieurs raisons : le choix éclairé des candidats - ces informations permettront aux lycéens de faire des voeux réalistes ; la confiance dans Parcoursup - elle est encore fragile après les quelques ratés du mois de juin ; la demande sociale de transparence, qui est devenue l'un des fondamentaux de nos sociétés ».
Cependant, certains s’y opposent pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le secret des délibérations de la commission. Tout en reconnaissant y être favorable, Grosperrin note que le fait que les délibérations ne commencent qu'au moment où la commission se penche au cas par cas sur les dossiers annule la nécessité d'étendre le secret à la phase automatisée de pré-classement des dossiers.
Ensuite, les réfractaires indiquent que la commission devra se réunir avant novembre pour statuer sur les critères utilisés et donc publiés sur Parcoursup. Grosperrin affirme que cet argument ne lui paraît pas insurmontable : « les candidats vont crouler sous l'information, mais notre société préfère aujourd'hui trier l'information plutôt que d'en être privée ».
Enfin, cela risquerait d'encourager des comportements stratégiques. Selon Grosperrin, mieux vaut faire savoir à tous les candidats sur quels critères ils seront jugés, plutôt que « limiter cette information à quelques happy few bien informés ».
Pour ces raisons, il recommande le retour au régime de droit commun
Une proposition de loi qui sera déposée prochainement
Jacques Grosperrin a annoncé qu’il déposerait « prochainement » une proposition de loi, destinée à supprimer les dérogations à la transparence introduites dans la loi ORE. Le texte sera co-signé par la centriste Sophie Joissains, qui avait déjà fait adopter l’année dernière, en tant que rapporteure du projet de loi relatif au RGPD, des dispositions en ce sens.
« Il ne s'agit pas de toucher au secret des délibérations. Nous souhaitons seulement plus de transparence dans la phase de prétraitement », a insisté Pierre Ouzoulias, en appui à la proposition de loi portée par Jacques Grosperrin et Sophie Joissains. « Tout ce qui relève du jury fait partie des libertés académiques et du socle constitutionnel. Nous n'y touchons absolument pas ».
Source : Sénat
Et vous ?
Faut-il rendre obligatoire la publication des algorithmes locaux utilisés par la plateforme Parcoursup ?
Que pensez-vous de l'argument selon lequel cela va empiéter sur le secret des délibérations ?
Cela risquerait-il d'encourager des comportements stratégiques ?
Voir aussi :
Le Sénat français approuve la taxe alors que les États-Unis ouvrent une enquête sur ces prélèvements numériques destinés aux Gafa
Taxe GAFA : députés et sénateurs parviennent à un accord sur le projet de loi, malgré les critiques américaines
Un sénateur US propose des règles strictes de Do Not Track dans un nouveau projet de loi, « les gens en ont assez des violations de la vie privée »
École de la confiance : le Sénat refuse de débattre sur la priorité aux logiciels libres, car n'ayant aucun lien direct ou indirect avec le projet
Des sénateurs préparent un projet de loi visant à rendre obligatoire la publication des algorithmes locaux de Parcoursup
Pour plus de transparence
Des sénateurs préparent un projet de loi visant à rendre obligatoire la publication des algorithmes locaux de Parcoursup
Pour plus de transparence
Le , par Stéphane le calme
Une erreur dans cette actualité ? Signalez-nous-la !