Au début du mois d’octobre 2018, l’école 42, l’établissement supérieur fondé par le milliardaire Xavier Niel en 2013 et dispensant des cours d’informatique gratuits aux personnes âgées de 18-30 ans, a changé de directeur général. Sophie Viger, ancienne développeuse et ex-directrice de la Web@cadémie, a été nommée à la tête de la direction de l’école le 9 octobre en remplacement de Nicolas Sadirac, directeur général de l’école 42 depuis sa création en 2013.
Mais la veille de cette nomination, la CNIL (la Commission nationale de l’informatique et des libertés de France) a adressé une lettre de mise en demeure à l’école à cause du système de vidéosurveillance installé par Nicolas Sadirac et jugé excessif. Dans ce système de vidéosurveillance, 60 caméras filment en permanence le quotidien des élèves et du personnel administratif avec un accès à ces vidéos par les étudiants sur le réseau intranet.
Alors que la CNIL a déjà mis le doigt sur des violations de vie privée avec ces caméras, Mediapart, le site d’information français explique que l’on est encore loin du compte en ce qui concerne les dérives rencontrées au sein de cet établissement de référence. Selon le média d’information, l’école a traversé une très grave crise dont presque personne n’a fait cas.
L’école 42 : un modèle de référence pour la formation des développeurs ?
Actuellement, l’école est surtout connue pour son modèle économique et pédagogique qui n’a pas manqué de faire des émules aussi bien en France que dans d’autres pays. Pour suivre les cours dans cette école, les étudiants de l’école 42 n’ont pas à débourser le moindre centime. Après avoir passé les épreuves de sélection, les étudiants retenus bénéficient d’une formation entièrement financée par les fondateurs et donateurs dont les fonds sont majoritairement constitués des dons effectués de Xavier Niel et qui sont estimés à 10 millions d’euros depuis quelques années dont 7 millions pour le fonctionnement de l’école 42 à Paris et 3 millions pour celle nouvellement créée aux États-Unis, dans la Silicon Valley. Grâce à la gratuité de l’école 42, plus de 2 ;000 jeunes issus en majorité de familles financièrement limitées ont pu trouver du travail, rapporte l’établissement.
En plus de la gratuité qui permet d’attirer un maximum de personnes, l’école 42 se démarque également par sa pédagogie atypique, battant en brèche le système classique de cours magistraux et de relation hiérarchique entre le personnel de formation et les étudiants. L’École mise sur la collaboration entre étudiants. Ces derniers sont libres d’organiser leurs journées à la réalisation de projets proposés par l’équipe pédagogique. À l’issue de la formation comprise entre 2 et 5 ans, l’établissement délivre des certificats professionnels dans plusieurs domaines comme la programmation système, le web, la programmation fonctionnelle, la sécurité informatique, le développement mobile, le réseau, etc.
Avec ces atouts, l’école 42 connaît très vite du succès à sa création. Chaque année, elle accueille plus de 800 personnes et dans les médias, l’on vante ses louanges. En référence à l’école 42, plusieurs autres établissements similaires sont créés. En Afrique du Sud « ;We Think Code ;» voit le jour. En Ukraine, une école identique est créée avec pour dénomination « ;Codam ;». En Belgique, au Maroc, en Argentine, des projets semblables fleurissent également.
Mais sous ce modèle à succès de l’école 42 se cache une triste réalité que les médias L’Usine Nouvelle et Mediapart ont bien voulu mettre à nu.
L’école 42 : des dérives plus qu’étonnantes
En octobre dernier, lorsque Sophie Viger a été nommée à la tête de l’école 42 en remplacement de Nicolas Sadirac, chacun y allait de son commentaire. Alors que certains affirmaient qu’il souhaitait aller au-delà de ce qu’il avait déjà réalisé avec cet établissement. D’autres par contre soulignaient qu’il avait démissionné de sa propre initiative pour « ;généraliser la pédagogie au plus grand nombre ;».
Mais après une enquête savamment menée par Mediapart, il s’avère que Sadirac est à l’origine de plusieurs déboires qui vont faire de l’école 42 un espace très malsain au fil des années, ce qui lui aurait même valu d’être débarqué de son poste.
Selon Mediapart, les frasques du directeur général Sadirac ont commencé après l’installation de 60 caméras au sein de l’établissement. Le 2 novembre 2014 : l’une des soixante caméras que Nicolas Sadirac a fait installer dans tout l’établissement, en violation de la loi protégeant la vie privée, le surprend dans l’amphithéâtre de l’École en train d’administrer une fessée à une jeune femme, puis de poursuivre par un acte sexuel. Pour Mediapart, l’affaire est pourtant autrement plus grave qu’il n’y paraît, car le patron de l’École 42 sait qu’il est filmé et qu’il renvoie à tous les élèves, qui peuvent le voir en direct, une image sexiste et dégradée de la femme, en même temps qu'un message banalisant la violence contre les femmes.
Le 16 novembre 2017, le magazine hebdomadaire L’Usine nouvelle révèle à l’issue d’une enquête menée sur les activités des étudiants au sein de l’école un article dénonçant « ;le harcèlement, l’exhibitionnisme, les détournements et les carambouilles en tous genres ;» dans cette école censée former des développeurs.
« ;Les couloirs de l’école ressemblent à un vestiaire de football. Cette ambiance nous bouffe littéralement, confie Mathilde (ce prénom a été modifié par L’Usine Nouvelle), étudiante de l’école 42 ;» à L’Usine Nouvelle. Lors d’une visite du président François Hollande dans les locaux de l’établissement, l’on aperçoit des matelas pêle-mêle et une personne couchée.
Mathilde continue son récit et explique ceci à L’Usine Nouvelle : une fois « ;on m’a poursuivie sur un étage et demi — que j’ai dû remonter à reculons — pour voir sous ma jupe ;». « ;On ne se sent pas en sécurité ici ;», confesse Mathilde. Une ancienne élève, Lola (prénom modifié par L’Usine Nouvelle) n’osait plus porter de shorts ou de jupes à cause des remarques portées sur son physique et sa façon de s’habiller, dénonce L’Usine Nouvelle.
Le magazine rapporte également que sur une des chaînes de discussion (nommée Not Safe For Work) de la messagerie Slack autogérée par les étudiants, l’on pouvait voir des échanges de contenus pornographiques, insultants et sexistes sans pour autant que le personnel soit intervenu en dépit du fait qu’ils étaient informés de ces faits. Des témoignages rapportent que l’on pouvait voir des appels à « ;enduire les femmes avec du Mont d’or et de la graisse abdominale de féministe ;» ou encore des « ;photos montrant une femme à quatre pattes avec en commentaire née pour être un sac à foutre ;», déplore L’Usine Nouvelle. Pour vous faire une idée des conversations sur NSFW, vous pouvez lire les échanges ci-dessous.
Ce n’est qu’après réception d’une lettre cosignée par des dizaines d’élèves demandant la fermeture de cette chaîne que la direction s’est résolue à la fermer arguant qu’il était « ;compliqué pour nous d’agir sur quelque chose qui ne nous appartenait pas ;».
Un directeur général qui enchaîne les bévues
En plus du climat toxique installé au sein de l’établissement, et qui selon certains aurait été favorisé par le laxisme sinon la complaisance du directeur général Nicolas Sadirac, Mediapart soutient également que les mauvaises actions imputables à Nicolas Sadirac ne se limitent pas à la fessée donnée à cette jeune femme dans l’amphithéâtre. Selon le site d’information, le diplôme de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) et le master en sciences physiques de l’université de Stanford en Californie que Nicolas Sadirac déclare avoir obtenus n’ont aucune trace nulle part. Enfin, le média révèle que remplacement du directeur général a été précipité lorsque le 8 octobre, la CNIL a adressé une mise en demeure à l’Association « ;42 ;» qui gère l’école à cause des caméras qui avaient été installées sur ordre de Nicolas Sadirac et qui étaient utilisées par certains étudiants pour faire du repérage et harceler les étudiantes. Au-delà de ces faits, Mediapart met également à la charge de l’ancien directeur, des détournements de fonds et des surfacturations orchestrés de toute pièce à travers des entreprises tierces, des comptes offshore, etc.
Pour comprendre cette facette du côté obscur de l'école 42, Mediapart qui a mené son investigation rapporte que de prime abord que lorsque Xavier crée l'école 42 avec ses co-fondateurs, il décide de les reprendre avec leurs anciens salaires. Aussi, Nicolas Sadirac n'hésite-t-il pas à se faire embaucher par Xavier Niel avec un salaire de 400 000 euros par an alors qu'en 2011, son salaire n'atteignait même pas les 130 000 euros l'an, note Mediapart. Pour avoir une idée du salaire du directeur général d'alors, le site d'information rappelle que même le patron de l'immense empire financier qu'est la Caisse des dépôts et consignations, gérant des centaines de milliards d'euros, ne perçoit pas une taille rémunération.
Une société commerciale qui surfacture en passant par des comptes Offshore
Posté donc au plus haut niveau hiérarchique à la création de l'école 42, Sadirac ne va pas hésiter à profiter de ce privilège pour manigancer dans le dos de Xavier Niel afin de se remplir davantage les poches, précise Mediapart. En principe, l'école 42 est une association à but non lucratif et donc ne devrait aucunement se livrer à des activités commerciales. Mais Mediapart souligne que les co-fondateurs de l'école 42 ont décidé de créer une entreprise nommée 42 Labs pour fournir des prestations et des services payants aux grandes entreprises. Et c'est en s'appuyant sur les deux statuts contradictoires (sociétés commerciale et à but non lucratif) que ces derniers vont monter des intrigues pour renflouer leurs caisses personnelles, affirme Mediapart.
Selon l'enquête du site d'information, les intéressés ont par exemple acheté des chaises en France à 62 euros l'unité afin de les mettre à la disposition de l'école 42 aux Etats-Unis. Mais une fois arrivées aux États-Unis, ces mêmes chaises ont été facturées à 260 euros l'unité. Pour 2000 chaises commandées, vous pouvez déjà voir combien les participants à cette intrigue ont pu récolter.
Comme autres faits rapportés par Mediapart, une entreprise du nom de SIS Technologies aurait prélévé des commissions sur les achats d'ordinateurs iMac acquis à prix préférentiels auprès d'Apple. Mais les commissions prélevées ont été adressés à des comptes inconnus. En outre, Mediapart déclare qu'il détient aussi la preuve que Nicolas Sadirac a longtemps profité de versements en liquide pouvant atteindre jusqu'à 10 000 euros par mois en provenance d'un compte détenu par un dénommé Archad Burahee. Ce proche de Nicolas Sadirac et de Florian Bucher a été condamné en 2007 pour un vaste trafic de cigarettes sur internet, à partir d'un montage financier complexe transitant par des comptes offshore à l'île Maurice. Le site d'information ajoute également qu'il possède aussi la preuve que Sadirac et quelques-uns de ses proches détenaient un compte en Suisse, alimenté par des financements dont le média déclare ne pas connaitre l'origine.
La chute du directeur de l'école, Nicolas Sadirac
Après avoir eu écho de toutes ces supercheries, Xavier Niel a ordonné à sa holding NJJ d'engager un audit méthodique sur tous les comptes de l'école 42 et 42 Labs. Cet audit finit par mettre en lumière toutes les malversations commanditées par Nicolas Sadirac, soutient Mediapart. À la suite de toutes ces dérives, Nicolas Sadirac a été contraint de démissionner, selon les sources de Mediapart. Et depuis le 9 octobre 2018, c’est Sophie Viger qui assure le poste de directrice générale avec pour mission de doubler le nombre d’étudiants dans l’école de Paris. Mais pensez-vous qu’elle pourra encore attirer du monde avec ce triste tableau ;?
Sources : Mediapart, L’Usine Nouvelle
Et vous ?
Que pensez-vous des faits dénoncés par Mediapart ? Affabulation ou faits réels ?
Avez-vous fréquenté l’école 42 ? Vous reconnaissez-vous dans les dérives dénoncées par Mediapart ?
Selon vous, les dérives dénoncées par Mediapart sont-elles uniquement liées à l'école 42 ou d'autres écoles peuvent être également citées ?
À la lumière des faits dénoncés, comment entrevoyez-vous l’avenir de cette école ? Pourra-t-elle conserver le succès qu’elle a connu dès le départ ?
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Le , par Olivier Famien
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